dimanche 15 décembre 2013

Le mouvement ouvrier d'Iran peine à se lever

Soyons clairs d'entrée de jeu, le mouvement ouvrier d'Iran dans son état actuel est très loin de montrer une infime partie de ses capacités en prenant en compte tout simplement son passé. Il ne s'agit donc pas de lui demander des choses extraordinaires basées sur des théories livresques de quelques bords ou idéologies qu'elles soient. Il s'agit de faire rappeler le passé pour qu'au moins dans le futur les erreurs soient évitées le plus possible. Un passé de mouvement de luttes plus intenses que maintenant, un passé qui a pesé dans le bouleversement des équilibres de forces sociales et politiques de telle sorte qu'un régime comme celui du chah qui se disait "îlot de stabilité" de la région a plié et finalement s'est effondré. Ainsi personne ne pourrait nier le rôle des ouvriers pétroliers d'Iran et leur grève illimitée durant la période révolutionnaire 1978 - 1979.
Ce sont bien les ouvriers qui ont montré la voie aux autres mouvements engagés dans la lutte révolutionnaire pour former des organes auto-gestionnaires comme d'abord des comités de grève pour ensuite les faire évoluer en conseils d'usine pour que tout soit réellement géré et réalisé par et pour les ouvriers. Sans les conseils ouvriers comme modèles, les conseils de quartier n'auraient jamais pu se former.
Mais alors que s'est - il passé ensuite? L'on peut dire aujourd'hui que ces conseils d'usine et de quartier n'ont pas eu assez de vigilance et assez de courage pour ne pas laisser de fausses copies les remplacer pour ensuite les anéantir.
Le régime du chah est tombé grâce à la grève générale des ouvriers et en particulier celle de l'industrie pétrolière et l'insurrection armée populaire des 10 et 11 février 1979 sans que la question du pouvoir soit réellement dans la ligne de mire de celles et ceux qui ont rendu possible cette immense tâche. Ainsi une aile de la bourgeoisie iranienne la plus arriérée et la plus réactionnaire, la bourgeoisie cléricale, a pu prendre le pouvoir et fonder son propre État. Ce "nouvel" État*, comme tous les autres que l'humanité toute entière a eus, s'est formé pour sauvegarder les privilèges et intérêts des exploiteurs et affameurs, pour réprimer et aller à l'encontre de la marche de la société. Mais cet État se trouvait face à une société qui bouillonnait d'ambitions pour la liberté et l'égalité, il n'avait pas encore bien mis en ordre de marche ses organes de répression, sa police, son armée etc. Il a donc décidé de copier les organes sortis tout droit des entrailles de la révolution tout en prononçant des discours extrêmement démagogiques comme celui de Khomeiny prétendant que Mahomet baisait la main des ouvriers! Les "conseils islamiques du travail" ont remplacé les conseils d'usine et les "comités" installés dans les mosquées ceux de quartier. Face à cette offensive contre-révolutionnaire, des groupes d’opposition existantes, souvent des marxistes - léninistes et maoïstes, qui avaient la possibilité de changer le cours des événements n'ont pratiquement pas fait grand-chose, si ce n'est que d'inviter les ouvriers et les gens à rejoindre leurs partis ou organisations pour lutter mieux demain! Les conseils islamiques du travail existent toujours sans que la plupart des ouvriers leur donnent la moindre importance, mais des groupes ouvriers dépendants des partis et organisations marxistes ont été balayés souvent au prix fort d'arrestations, de torture, d'emprisonnement et d'exécutions sommaires. Résultat: cela fait plus de trois décennies que les ouvriers d'Iran n'ont pas leurs propres organisations indépendantes du régime mais aussi des groupes politiques. Certes la répression sanglante du régime des mollahs contre tout mouvement indépendant et le rôle de sa police politique contre les militants politiques et ouvriers est réelle et doit être considérée comme une freine principale à la formation des forces sociales organisées, mais il n'est pas la première et la seule dictature sur la Terre.
Alors pourquoi, pourquoi le mouvement ouvrier d'Iran peine à se lever? N'est-il pas à cause de ses questionnements face à tout ce qui s'est passé au XXème siècle au nom d’États ouvriers ou socialistes? A-t-il peur de ces nombreux "partis communistes" basés à l'étranger qui lui dictent encore ce qu'il faut faire? Ne voit-il pas que même dans les États capitalistes développés des syndicats qui pèsent encore sont devenus des organisations de service et d'accompagnement? C'est peut-être tout cela, c'est peut-être encore d'autres choses!
Toujours est-il que les principaux problèmes qui touchent les ouvriers d'Iran sont les arriérés de salaire, le salaire minimum trois fois moindre que le seuil de pauvreté "officiel", le chômage et les fermetures d'usine et le manque de moyens de sécurité sur les lieux de travail.
Quelques exemples de ces dix derniers jours pourraient aider à comprendre l'ampleur des problèmes.
Un ouvrier parlant sous couvert de l'anonymat a dit à l'agence de presse ILNA que le salaire des ouvriers Chahdab qui fabriquent des jus de fruits et concentrés n'est pas payé depuis 5 mois. Il précise qu'ils sont au nombre de 60 alors qu'avant la privatisation de l'usine ils étaient 160.
Les ouvriers de Canne à sucre Haft - Tapeh ont fait une grève de deux jours pour protester contre les salaires insuffisants et quelques autres revendications concernant surtout les saisonniers. Les ouvriers de Haft - Tapeh ont osé fonder leur propre syndicat, un syndicat dont des membres sont de temps en temps arrêtés et emprisonnés. Le gouvernement et le patronat ne reconnaissent pas ce syndicat et s'adresse au conseil islamique du travail qui est de fait leur valet de chambre.
Un ouvrier de 38 ans perd sa vie en travaillant dans une mine de charbon à Kouhdasht. Les responsables essayent de déguiser la mort en une "mort suspecte", mais les secours arrivés sur place confirment que le mineur a été tué à cause d'un effondrement de paroi en travaillant.
La seule bonne nouvelle de la décade concerne les ouvriers de l'usine Polyacryl à Ispahan. Suite à une protestation, les forces de l'ordre islamiques avaient arrêté 4 ouvriers, ce qui n'a pas fait reculer les autres. De sorte que les 4 ont été libérés après une semaine d'arrestation. Plus de 500 ouvriers se sont rassemblés dans l'enceinte de l'usine pour célébrer le retour de leurs collègues.
Et que la lutte continue !
* Pendant les deux jours de l'insurrection armée des 10 et 11 février 1979, l’État monarchique a cessé d'exister. Khomeiny avait formé un "gouvernement provisoire" le 03/02/1979, une espèce de "shadow cabinet" ou cabinet fantôme. Mais ce gouvernement n'avait aucune autorité. L’État islamique a ainsi remplacé l’État monarchique et seulement pendant deux jours l'Iran vécut l'anarchie, la liberté sans État et sans autorité mais pas sans ordre car les insurgés ont pris le contrôle de tout.   

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